Rock-Eval® : une méthode adaptée au suivi de la qualité des sols à l’échelle nationale
Dans le contexte actuel de réchauffement climatique, évaluer correctement l’impact des sols sur le climat devient essentiel. Pour comprendre comment est stocké le carbone organique au sein de sols de diverses natures, une équipe a mis en œuvre la technique Rock-Eval® pour l’analyse d’un grand nombre d’échantillons prélevés dans le cadre d’une campagne de suivi de la qualité des sols à l’échelle nationale.
Puits de carbone ou source : l’importance de connaitre l’état des stocks de carbone organique dans les sols
Qualité des terres agricoles, impact sur le climat et sur le cycle de l’eau… le carbone organique présent dans les sols joue un rôle majeur dans de nombreuses problématiques d’actualité. Pourtant, la dynamique actuelle des stocks de carbone organique est encore mal comprise. D’un point de vue climatique, il s’agit cependant d’une question cruciale. En fonction de l’accroissement des stocks ou au contraire de leur diminution, les sols peuvent en effet basculer de l’état de puits de carbone à celui de source contribuant à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère.
Si à première vue la quantité de carbone organique dans les sols dépend principalement de la balance entre les entrées et les sorties, de nombreux autres paramètres doivent être pris en compte. Notamment le temps de résidence du carbone organique, qui va dépendre de la stabilité de cet élément face à l’action microbienne de décomposition.
Dans un contexte d’effort du maintien (voire d’augmentation) des stocks de carbone organique dans les sols, l’évaluation précise de ce temps de résidence devient un enjeux environnemental majeur. L’estimation de la stabilité biogéochimique du carbone organique représente cependant un véritable défi. En cause, les multiples mécanismes de stabilisation possibles. Le carbone organique peut en effet être protégé de la décomposition microbienne soit par sa nature chimique, soit par ses interactions avec les surfaces minérales, soit en étant tout simplement dans une position spatiale inaccessible aux microbes. Ces différents mécanismes entraînent des temps de résidence très variables, de quelques jours à plusieurs siècles. Une variabilité qui rend difficile l’estimation correcte de la stabilité du carbone organique et donc de la dynamique des stocks actuels.
Rock-Eval® testé pour la première fois dans le cadre d’un réseau de suivi de la qualité des sols à l’échelle nationale
Dans un article publié récemment dans la revue SOIL, des chercheurs du Laboratoire de Géologie de ENS Paris, de l’ISTeP, de l’INRAE et de l’UMR ECOSYS de l’Université Paris-Saclay montrent la pertinence de l’utilisation de l’analyse thermique par Rock-Eval® dans le contexte d’un suivi de la qualité des sols de l’ensemble du territoire métropolitain. Développée dans les années 1970, Rock-Eval® était à l’origine dédiée à la caractérisation des roches dans le cadre de la prospection pétrolière. Cette technique s’est cependant révélée particulièrement adaptée à l’analyse de la matière organique contenue dans les sols. Facile à mettre en œuvre, elle permet en effet d’évaluer les quantités de carbone organique et inorganique présents, mais donne également de nombreux indicateurs de la stabilité thermique de la matière organique. Dans cette étude, l’analyse par Rock-Eval® a donc été appliquée à de nombreux échantillons collectés dans le cadre de la campagne du Réseau de mesure de la qualité des sols français (RMQS) entre 2000 et 2009.
Impact de la couverture végétale
Photo d'une fosse pédologique montrant un podzosol en Gironde © L. Cécillon
En plus de démontrer la pertinence de la méthode dans ce contexte, les résultats révèlent que la présence d’argile dans les sols semble avoir un effet protecteur sur la matière organique, la rendant plus stable biogéochimiquement. D’un autre côté, la valeur du pH impacte l’action des microorganismes, l’acidité semblant ralentir le processus de minéralisation. L’étude montre également l’impact significatif qu’a la nature de la couverture végétale sur la stabilité de la matière organique dans les sols. Ainsi, les sols des terres cultivées renferment un carbone plus réfractaire, c’est-à-dire plus résistant à la dégradation thermique, que ceux des prairies et des forêts. Ces résultats suggèrent que la matière organique est en moyenne plus oxydée et plus stable biogéochimiquement parlant dans les terrains cultivés, mais que la quantité de carbone organique y est faible. À l’inverse, les régions montagneuses, couvertes de prairies et de forêts, possèdent de fortes quantités de carbone organique mais qui présentent une faible stabilité thermique. Ces observations s’expliquent par le fait que l’apport de carbone organique « frais » est plus important dans les prairies et forêts. La fraction de carbone organique possédant un temps de résidence plus court et une plus faible stabilité thermique y est donc plus abondante.
Ces résultats devraient pouvoir permettre d’évaluer plus justement l’évolution des stocks de carbone organique à l’échelle nationale. Dans ce cadre, les chercheurs s’attellent désormais à l’analyse de prélèvements réalisés depuis 2016 sur les mêmes sites.
Brève rédigée par Morgane Gillard
Pour en savoir plus : Delahaie, A. A., Barré, P., Baudin, F., Arrouays, D., Bispo, A., Boulonne, L., Chenu, C., Jolivet, C., Martin, M. P., Ratié, C., Saby, N. P. A., Savignac, F., and Cécillon, L.: Elemental stoichiometry and Rock-Eval® thermal stability of organic matter in French topsoils, SOIL, 9, 209–229, https://doi.org/10.5194/soil-9-209-2023, 2023.
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Chiffres clés
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