Des marges passives sous multiples contraintes
Inversion de dynamique pour les marges passives
La fragmentation des continents passe par un processus d’extension, d’amincissement puis de séparation de la croûte continentale, donnant naissance à des marges passives divergentes qui marquent la transition avec un nouveau domaine océanique. Ces marges résultent donc d’une dynamique majoritairement extensive. Cependant, une fois matures, ces marges sont plutôt soumises à des régimes de contrainte en compression horizontale (régime compressif ou décrochant). L’origine de cette nouvelle dynamique pourrait être liée à la transmission intraplaque de contraintes orogéniques engendrées aux frontières de plaques convergentes lointaines ou à la poussée produite par le fonctionnement de la dorsale océanique, mais d’autres contributions ne sont pas à exclure, notamment l’effet de flexure en lien avec la charge des sédiments ou les différences de densité au sein de la lithosphère.
Connaître avec précision le champ de contrainte et son évolution au cours du temps sur les marges passives est extrêmement important pour l’exploration des réservoirs d’hydrocarbures situés dans le domaine offshore.
Reconstruire l’historique du champ de contrainte
L’exploration de la marge congolaise, qui borde le sud-ouest du continent africain, se heurte ainsi à une mauvaise connaissance de l’historique des contraintes qui se sont appliquées au cours du temps sur les formations susceptibles de contenir des réserves d’hydrocarbures. La formation carbonatée d’âge Crétacé étudiée, déposée au niveau de la marge passive après le rifting qui a donné naissance à l’Atlantique sud, se situe en effet au-dessus d’un niveau de sel, un matériau qui flue et se déforme facilement sous la contrainte tectonique et augmente donc la complexité structurale des niveaux sédimentaires situés au-dessus.
Afin de mieux comprendre l’évolution de cette formation carbonatée dans le bassin du Congo, des scientifiques de l’ISTeP, de l’Université de Pau, de TotalEnergies et du CEREGE (Université d’Aix Marseille) ont mené des investigations géochimiques et microstructurales sur le ciment calcitique de la formation, ainsi que sur les fractures et les structures de pression-dissolution observables sur la carotte. Les mesures et analyses ont été réalisées dans le cadre d’une approche originale et inédite sur une carotte de forage offshore de 306 mètres de long.
À gauche : Image de carottes de forage d'où proviennent les échantillons de calcaire; En haut à droite : Photographie au microscope optique de cristaux de calcite maclés, utilisés pour estimer les orientations et les grandeurs des contraintes à l'origine du développement des macles (plans rectilignes visibles au sein d'un cristal); En bas à droite : Scan de stylolites sédimentaires (figures de pression-solution visibles par les marques sombres) dont l'analyse a permis d'estimer les profondeurs maximales d'enfouissement de la roche © Aniès Zeboudj
Influence de la couche de sel et des grandes structures tectoniques lointaines
Les résultats, publiés dans Marine and Petroleum Geology, ont permis de caractériser l’orientation et les magnitudes des contraintes ayant affecté la formation carbonatée au cours du temps et de déterminer notamment l’impact de la tectonique salifère. Les données révèlent en effet que la déformation de la couche de sel sous-jacente a conduit à un régime extensif local au sein de la formation carbonatée. Cependant, les états de contraintes compressifs et décrochants ultérieurs semblent plutôt résulter d’un transfert de contraintes exercées par des sources bien plus distantes, notamment la limite de plaques convergente entre l’Afrique et l’Eurasie, mais également par la poussée à la dorsale médio-Atlantique.
La déformation affectant la formation carbonatée étudiée résulte donc à la fois de l’influence locale du fluage de la couche de sel et de l’influence de grands événements tectoniques lointains. Ces résultats devraient permettre de mieux comprendre l’évolution des marges passives en général, notamment leur histoire post-rift qui peut se révéler plus complexe que prévu et comprendre à la fois des épisodes extensifs et compressifs.
Brève rédigée par Morgane Gillard
Pour en savoir plus : Aniès Zeboudj, Boubacar Bah, Olivier Lacombe, Nicolas E. Beaudoin, Claude Gout, Nicolas Godeau, Jean-Pierre Girard, Pierre Deschamps, Depicting past stress history at passive margins: A combination of calcite twinning and stylolite roughness paleopiezometry in supra-salt Sendji deep carbonates, Lower Congo Basin, west Africa, Marine and Petroleum Geology, Volume 152, 2023, 106219, ISSN 0264-8172, https://doi.org/10.1016/j.marpetgeo.2023.106219.
La paléopiézométrie basée sur l'inversion de la rugosité des stylolites (figures de pression-dissolution dans la roche) et l'inversion des macles de calcite (résultat de déformations internes d’un cristal de calcite) a été combinée avec l'analyse des fractures, la datation par Uranium-Plomb du ciment de calcite et la modélisation de l'enfouissement de la formation étudiée pour retracer l’histoire du champ des contraintes, appliqué à la marge continentale passive du bassin du bas Congo © Zeboudj et al. 2023, Marine and Petroleum Geology.
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Chiffres clés
L'ISTeP comprend 108 membres dont :
- 12 professeurs
- 21 maîtres de conférences
- 2 directeurs de recherche CNRS
- 2 chargés de recherche CNRS
- 7 ATER et post-docs
- 26 doctorants
- 21 ITA-IATSS
- 17 collaborateurs bénévoles / émérites