Anoxie et acidification des océans : voilà les conditions auxquelles ont dû faire face les écosystèmes marins il y a 94 millions d’années
Le Crétacé est marqué par plusieurs perturbations biologiques, dont celle de la limite Cénomanien-Turonien il y a 94 millions d’années. Associée à un épisode d’anoxie enregistré au sein de la colonne d’eau dans de nombreuses régions du globe, elle semble également avoir été marquée par une acidification rapide des océans, en lien avec un épisode volcanique majeur.
Vers une crise biologique marine ?
Si aujourd’hui les scientifiques mettent en garde contre l’acidification croissante des océans, qui résulte de l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère, c’est parce que cette modification de la chimie des océans peut avoir d’importantes répercussion sur l’ensemble des écosystèmes marins. Pour preuve, plusieurs crises biologiques passées ont été accompagnées d’une acidification des océans, notamment l’extinction de masse marquant la fin du Permien ou encore la crise du Trias-Jurassique. Ces épisodes d’acidification ont été si importants et brutaux qu’ils ont laissé des marqueurs clairs dans les séries géologiques. Ce n’est cependant pas le cas de tous les événements de ce type. Si les épisodes d’acidification sont généralement associés à des épisodes volcaniques majeurs, dans certains cas l’évolution du pH des océans a pu être suffisamment subtil et lent pour ne pas laisser de traces évidentes. Ainsi, il est depuis longtemps supposé que l’événement anoxique océanique de la limite Cénomanien-Turonien (OAE2, 94 millions d’années), aurait été accompagné par une acidification des océans ayant entraîné l’extinction de nombreuses espèces marines. Cet épisode n’a cependant jamais été clairement établi.
CO2 et calcaire ne font pas bon ménage
L’acidification des océans affecte en premier lieu la précipitation des minéraux carbonatés, tels que la calcite (CaCO3) et leur dépôt. En temps normal, les couches d’eaux profondes sont plus acides que les couches superficielles car plus riches en CO2. Il en résulte que les carbonates (provenant des coquilles et autres tests d’organismes marins) qui se dissolvent en milieu acide, ne se déposent pas sous une limite que l’on appelle profondeur de compensation des carbonates (CCD). Dans les séries sédimentaires anciennes, l’analyse des taux de carbonate de calcium (CaCO3) dans les sédiments pélagiques peut ainsi permettre de déterminer la paléo-profondeur à laquelle se trouvait la CCD à un moment donné et ainsi de déduire le pH des océans. Une CCD peu profonde peut alors être interprétée comme résultant d’une augmentation rapide de la concentration en CO2 dans l’environnement marin, permettant d’identifier les événements de paléo-acidification. Le problème avec l’événement OAE2 est que la majorité des océans étaient alors très pauvres en oxygène (épisode anoxique) et dans certains cas riches en sulfure d’hydrogène (épisode euxinique). Ces conditions très toxiques pour les organismes vivants ont mené au dépôt généralisé de marnes noires, très riches en matière organique. Difficile, dans ce contexte, de retrouver une trace fiable de la CCD. Pour tenter de déterminer avec certitude si cet épisode a été accompagnée par une acidification des océans, une équipe de chercheurs a analysé les sédiments prélevés dans le Bassin de Mentelle au large de la côte sud-ouest de l’Australie et l’a comparé à l’enregistrement sédimentaire d’autres régions du globe.
Effet de l’acidification des océans sur les coquilles calcaires des organismes marins © NOAA Environmental Visualization Laboratory (EVL), Wikimedia Commons, domaine public
Une acidification rapide des océans en lien avec un épisode volcanique majeur
Les données, publiées dans Nature Geoscience, ont permis d’identifier clairement un intervalle sédimentaire représentant 600 000 ans de dépôt dépourvu de minéraux carbonatés, mettant en lumière une acidification rapide des océans. La remontée de la CCD correspondrait au début de l’activité volcanique, établissant le lien entre la baisse du pH des océans et l’émission massive et rapide de CO2 par les volcans.
La vie marine se serait donc retrouvée face à une modification majeure de la chimie des océans : à la fois une absence d’oxygène et une acidification rapide. L’impact sur les écosystèmes marins a donc dû être significatif. La façon dont les organismes ont répondu à cette acidification durant cet événement il y a 94 millions d’années devrait permettre de mieux comprendre les capacités de résilience des écosystèmes modernes face à l’acidification croissante des océans.
Brève rédigée par Morgane Gillard
Pour en savoir plus : Jones, M.M., Sageman, B.B., Selby, D. et al. Abrupt episode of mid-Cretaceous ocean acidification triggered by massive volcanism. Nat. Geosci. 16, 169–174 (2023). https://doi.org/10.1038/s41561-022-01115-w
Egalement dans la rubrique
- Brève n°2 - Des grains de pollen pour reconstruire l’histoire des mangroves
- Brève n° 6 - Dater les plissements tectoniques à l’aide des veines et des failles qui affectent les couches
- Brève n°33 - De la matière organique continentale enfouie au fond des océans !
- Brève n°34 - Les vers de terre ont un rôle essentiel dans la minéralisation du carbone organique
- Breve n°35-Le volcanisme de Mayotte ne serait pas lié à un point chaud
- Brève n°36 - Première image interne du nouveau volcan sous-marin, Fani Maoré, au large de Mayotte
- Brève n°37 - Volcanisme et tectonique découverts le long de l’archipel des Comores entre l’Afrique et Madagascar : Une limite de plaque en développement.
- Brève-n°38 - Au cœur de la structure des plagioclases : révision du formalisme thermodynamique permettant de modéliser le comportement de ces minéraux
- Brève n°39 - Des grains de pollen pour comprendre l’adaptation des arbres durant les dernières glaciations
- Brève n°40 - Déterminer la durée de la phase pré-éruptive d’un volcan grâce à l’analyse des roches volcaniques
- Brève N°23-01 - Expliquer la morphologie et le relief de la côte iranienne du Makran
- Brève_n°23-02
- Brève_n°23-03
- Brève_n°23-04
- Brève_n°23-05
- Brève_n°23-06
- Brève_n°23-07
- Brève_n°23-09
- Brève_n°23-11
- Brève_n°23-13
- Brève_n°23-14
- Brève_n°23-15
- Brève_n°23-16
- Brève_n°23-17
- Brève_n°23-18
- Brève_n°23-19
- Brève_n°23-21
- Brève_n°23-22
- Brève_n°23-23
- Brève n°23-24
- Brève-n°23-25
- Brève_n°23-26
- Brève_n°23-28
- Brève_n°23-29
- Brève_n°23-30
- Brève_n°23-31
- Brève_n°23-32 - Plongée dans l’histoire tectonique fascinante des Caraïbes
- Brève_n°23-34
- Brève_n°23-35
Chiffres clés
L'ISTeP comprend 108 membres dont :
- 12 professeurs
- 21 maîtres de conférences
- 2 directeurs de recherche CNRS
- 2 chargés de recherche CNRS
- 7 ATER et post-docs
- 26 doctorants
- 21 ITA-IATSS
- 17 collaborateurs bénévoles / émérites