Voici à quoi ressemblait le sud-est de la France de 40 à 23 millions d’années
L’évolution des paysages est intimement liée à la tectonique des plaques et à l’évolution du climat. C’est ainsi qu’il y a 40 millions d’années, le sud-est de la France était caractérisé par la présence de nombreux lacs que la mer venait alimenter en eau salée, parfois jusque loin dans les terres.
Un climat et un paysage très différents dans le sud-est de la France durant le Paléogène
Les paysages terrestres n’ont cessé d’évoluer au cours du temps, en lien avec les mouvements tectoniques, les variations climatiques et la hausse ou la baisse du niveau marin, sans compter l’évolution de la faune et de la flore.
Dans le sud-est de la France, la géologie de plusieurs bassins continentaux formés durant le Paléogène (55,8 à 23 millions d’années), sont les témoins de ces évolutions géographiques et climatiques. Ces bassins, aujourd’hui situés dans le Languedoc, la vallée du Rhône, la Provence et la Camargue, sont caractérisés par la présence d’une épaisse couche de sédiments calcaires et évaporitiques, des roches qui témoignent de conditions environnementales très différentes de celles d’aujourd’hui.
La formation de ces bassins est liée à l’activité tectonique de la région et s’est produite au cours d’une phase de transition entre l’orogenèse Pyrénéo-Provençale et le rifting du Golfe du Lion. À cette époque, le sud-est de la France était donc caractérisé par la présence de plusieurs lacs. L’observation de roches évaporitiques suggère qu’ils devaient être remplis d’eau salée, ne serait-ce que temporairement. Jusqu’à présent, l’origine de cette saumure restait mal comprise. Deux hypothèses étaient proposées : une origine liée à des épisodes d’incursion de la mer loin à l’intérieur des terres, ou bien au recyclage de roches évaporitiques plus anciennes, déjà présentes dans le sous-sol. De nombreuses autres questions restaient également débattues, notamment l’existence de connections entre les différents bassins, le rôle du climat sur le dépôt des évaporites et plus généralement l’évolution des dépôts sédimentaires au cours de cette période marquée par une détérioration rapide et forte du climat. La transition Éocène-Oligocène correspond en effet à une chute des températures qui eut comme conséquence l’extinction de nombreuses espèces, tant végétales qu’animales. Cet événement est connu sous le nom de Grande Coupure.
Reconstruction paléogéographique du sud-est de la France à la fin de l’Éocène © Semmani et al. 2023, Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology
Des incursions marines jusque dans le Languedoc
Pour répondre à ces questions, une équipe composée de chercheurs du CEREGE (Université d’Aix Marseille), de l’ISTeP, de l’ISEM (Université de Montpellier), de la société GeoBiostratDAta, de l’Institut GeoEcoMar (Roumanie) et de Biogéosciences (Université de Bourgogne) s’est intéressée aux bassins de Vistrenque (en Camargue) et à celui d’Alès. La séquence sédimentaire datant du Paléogène y atteint 3 200 mètres d’épaisseur. Grâce à des forages et à l’analyse des sédiments (datation des carbonates, étude des grains de pollen et reconstruction paléoclimatique, analyse des nannofossiles calcaires et des kystes de dinoflagellés), les scientifiques ont pu reconstruire le cadre paléogéographique de cette région entre 40 et 23 millions d’années.
Les résultats ont été publiés dans la revue Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology. L’analyse des pollens a permis de reconstruire le climat à partir du type de végétation qui prévalait dans ces bassins. Il s’agissait, à la fin de l’Éocène, d’un contexte chaud et humide avec des forêts riches en éléments tropicaux et subtropicaux. Les données mettent également en avant plusieurs intrusions marines successives, apportant de l’eau salée dans les bassins du Languedoc et de Camargue à la fin de l’Éocène (34 millions d’années). Cet apport d’eau salée serait donc la source des roches évaporitiques de l’Oligocène, déposées dans des conditions moins chaudes et surtout moins humides. Les chercheurs ont également pu, à partir de reconstructions paléogéographiques, tracer les réseaux d’alimentation possible lors de ces intrusions marines en provenance de la mer Alpine, qui occupait alors la place des Alpes actuelles.
Le début de la surrection de la chaîne de montagnes, à la fin du Paléogène (28 à 23 millions d’années), a cependant provoqué de nombreux changements. La petite mer Alpine s’est fermée tandis que de nouveaux corridors d’alimentation se formaient avec l’ouverture de bassins de rift orientés NE-SO dans le Golfe du Lion, permettant des intrusions marines de l’océan Néotéthys (actuelle Méditerranée) dans les bassins de Provence et de Camargue, dont le bassin de Vistrenque.
Brève rédigée par Morgane Gillard
Pour en savoir plus : Nazim Semmani, François Fournier, Jean-Pierre Suc, Séverine Fauquette, Nicolas Godeau, Abel Guihou, Speranța-Maria Popescu, Mihaela Carmen Melinte-Dobrinescu, Christophe Thomazo, Lionel Marié, Pierre Deschamps, Jean Borgomano, The Paleogene continental basins from SE France: New geographic and climatic insights from an integrated approach, Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology, Volume 615, 2023, 111452, ISSN 0031-0182, https://doi.org/10.1016/j.palaeo.2023.111452.
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